Amelia Earhart pascale perrier

2 juillet 1937, 10 heures du matin. Cathy White scrutait le ciel d'un bleu immaculé, en imaginant que l'Electra venait de décoller, piloté par les mains expertes d'Amelia Earhart, célèbre aviatrice partie pour un tour du monde. La jeune journaliste, qui mesurait la chance qu'elle avait de couvrir un événement aussi exceptionnel, ne manquait pas de conserver précieusement les articles qu'elle avait écrits à ce sujet.

C'était son premier vrai sujet, le premier d'envergure, celui qui la rendait franchement fière, qui justifiait les années de privations pendant les études, les railleries de son entourage incapable de comprendre son engouement pour un tel métier.

 

Depuis plusieurs années, Amelia Earhart occupait les grands titres des journaux. Ses compétences de pilote, ses exploits, sa féminité assumée, et maintenant ce tour du monde qu'elle avait entrepris, et qu'elle était sur le point de terminer.

Cathy avait été choisie pour suivre l'événement en exclusivité, aussi l'aviatrice était-elle devenue comme un modèle pour la jeune journaliste encore inexpérimentée, qui gardait ancrée en elle cette phrase parmi d'autres : « Comme les hommes, les femmes doivent tenter de réussir et si elles échouent, leur échec doit être un défi pour d’autres femmes»

Message reçu, Amelia. Votre tour du monde était aussi l'exploit de Cathy, et pour cela elle vous serait éternellement reconnaissante.

  

CHAPITRE 1 : ALLO, ITASCA

 

Dans l’avion, 2 juillet 1937, 19 heures 30,

Amelia Earhart et Fred Noonan

 

– Fred ?

– Mmh ?

– Tu sais, cette fois je crois bien que c’est la fin.

Frederick Noonan ne répondit rien. En tant que navigateur, c'est-à-dire copilote de la grande aviatrice Amelia Earhart, son travail consistait à localiser l’île Howland dans le Pacifique, où attendait l’Itasca, un navire de la marine américaine. Pas à se demander si leur avion, un bimoteur Lockheed Electra, allait s’abîmer au milieu de l'océan durant les minutes à venir. Et pas non plus à se lamenter sur son sort avec une femme…

Amelia soupira bruyamment. Il était 19 heures 30 passées, le 2 juillet 1937 et la probabilité qu’ils sortent vivants de cette aventure était infime. Elle existait, certes, et c’était pour cette raison qu’avec un calme qui lui faisait honneur, Fred passait inlassablement de sa carte au hublot, et jetait à son pilote des indications brèves qui fusaient dans la carlingue. Mais sous ses yeux, la même image se répétait à l’infini, la mer, toujours la mer, pas le moindre petit bout de terre, comment rester confiant dans ces conditions ? L’Itasca avait sûrement senti sa panique lorsque quelques minutes auparavant, Amelia avait envoyé son dernier message :

KHAQQ appelle Itasca. Nous devons être au-dessus de vous, mais je ne vous vois pas… Nous manquons de carburant. Impossible de vous joindre par radio. Nous volons à une altitude de 1 000 pieds.

Impossible de savoir. De toute façon, elle n’avait eu aucune réponse, sans en comprendre les raisons. Le vol qu’elle était en train d’effectuer était historique, rien moins que le tour du monde par l’Est, en passant par l’Équateur. Aux États-Unis, tout le monde suivait l’aventure de celle qu’on avait surnommée la petite reine de l’Amérique. Le président Roosevelt en personne lui avait prodigué ses encouragements, après l’avoir félicitée à plusieurs reprises pour ses précédents records. Alors, pourquoi ce silence radio ?

Amelia se sentait prodigieusement seule, et l’humeur taciturne de son navigateur ne la rassurait pas. On est toujours seul dans les grandes épreuves de l’existence. Cela ne change rien que quelqu’un soit présent. Personne ne vit à votre place, ne ressent ce qu'on ressent, les émotions n’appartiennent qu’à soi. Bien sûr, d’autres ont aussi connu l’angoisse qui tenaille le ventre, la peur qui paralyse, l’allégresse qui transporte, le bonheur qui picote les yeux et étreint sauvagement, mais il est rare que l’on puisse réellement partager une émotion en simultané, être réellement compris et entendu.

La fin était déjà là ? Si vite, si tôt, à quelques jours de ses quarante ans, alors même qu’elle était en passe de boucler le tour du monde ? Terminée, cette aventure extraordinaire ? Si vraiment tout devait s’achever ce jour, Amelia voulait sentir une dernière fois en elle cette rage de vivre qui l’avait poussée jusqu’ici et lui faisait éprouver, dans ces instants qui étaient peut-être ultimes, de la fierté et de la reconnaissance pour ce qu’elle avait vécu. Et tant pis si ça devait s’arrêter maintenant, si c’était à refaire, elle n’hésiterait pas une seconde.

Alors, tandis que doucement son avion descendait vers l’eau, elle plongea dans ses souvenirs.




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